Que faire des turions qui ne sont pas arrivés au terme de leur développement à l’automne ?

Par Benoît Mouline – octobre 2015

De nombreux adhérents de l’association nous ont signalé, l’absence de sortie de turions, provoquée par le printemps froid, la sécheresse estivale ou encore une sortie tardive consécutive aux pluies de fin d’été et d’automne.
Ils se demandent s’ils ont intérêt à conserver des chaumes non entièrement déployés ou feuillés.

On comprend mieux une partie de ce phénomène si on se réfère aux régions chinoises dont sont originaires la majorité de nos bambous tempérés : la diminution des apports hydriques correspond aux températures hivernales, période de ralentissement ou de pause de la croissance. Le retour de pluies plus abondantes est souvent le signe de reprise.

Concernant les pousses de printemps, sous nos climats, la température du sol est le 1er facteur qui conditionne la sortie précoce ou tardive des turions. Puis c’est encore la température (du sol et de l’air) et la quantité d’eau absorbée par le biais des rhizomes et leurs racines qui permettent l’allongement des cellules et l’expansion maximale des tissus aériens et donc le développement complet des chaumes. J’ai pu constater, en Normandie qu’une température de l’air inférieure à 13°C affecte les chaumes en cours de déploiement en entraînant la stagnation provisoire de l’allongement des entre-nœuds. Il s’agit d’observations sur Phyllostachys vivax ‘Aureocaulis’, avec des turions vigoureux ayant atteint 1 m de haut en juin en présence suffisante d’eau.
Il a été démontré, à Washington (USA) dans les années 1990, qu’une température du sol inférieure à 10° C (cas d’un printemps froid) au moment de la sortie des turions du Phyllotachys nigra ‘Henonis’ les bloquent. Pour trois autres espèces, lorsque les chaleurs printanières arrivent tardivement, c’est à dire qu’elles ne dépassent pas pendant quelques semaines 10 à 13 ° C dans le sol, la production de turions est décalée ou réduite.

En cas de température normale mais de sol sec, les turions peuvent avorter en grand nombre sous terre avant d’émerger et/ou peiner à se développer entièrement. Il en est de même en cas de sécheresse, par exemple pour les bambous à sortie estivale des turions, comme les Ph. bambusoides. Ceux qui trouvent l’énergie pour émerger peuvent ensuite peiner à se déployer et à produire branches et feuilles. Avec le manque continu d’eau dans le sol, les feuilles des nouveaux chaumes peuvent même rester plus longtemps enroulées, raccourcies ou encore sous forme de bourgeons dormants et ce même pour des massifs de bambous matures. Ce n’est pas définitif et la croissance repart d’autant mieux que la reprise des pluies (ou l’arrosage) est rapide et que les températures ne baissent pas trop. Si malgré l’eau, les feuilles ne se développent pas au bout de plusieurs semaines, le développement est bloqué et ces chaumes restent souvent définitivement défeuillés, malingres et péricliteront progressivement après les gelées d’hiver. Dans ce cas je conseille de les couper sans regrets.
Les photos suivantes prises dans un bosquet mature de Phyllostachys violascens irrigué pendant la canicule montre que les branches et les feuilles de quelques turions de 2015 ont été atteintes.
Notons cependant qu’en 2015 dans l’est de la France, le printemps doux et pluvieux ainsi que l’irrigation et la canicule estivale ont permis à certains turions de gagner de la hauteur ; ici ce sont les nouvelles branches et feuilles qui ont été affectées.

branches courtes ou absentes sur turion 2015

Stagnation du développement des feuilles d'un turion de 2015

Concernant les pousses d’automne, sachant qu’il faut compter, pour les phyllostachys géants et moyens environ 6 – 7 semaines pour un développement complet et de nouveaux chaumes viables, vous pouvez estimer, si le temps restant avant les premières gelées sera suffisant ou non. Passé un mois, les derniers entre-nœuds très raccourcis des segments de branches ou des branches entières avortant près de leur point d’insertion ou des premières feuilles qui peinent à émerger, sont de mauvais présages.
Pour donner un repère, j’estime qu’il faudrait pour les phyllostachys moyens et géants, que le déploiement complet des branches et de la majorité des feuilles soit terminé avant les premières gelées.

L’âge d’implantation du bambou et la surface qu’on lui accorde est un autre critère à prendre en compte. S’il est encore en phase d’installation, il peut être intéressant de conserver une année supplémentaire, des chaumes peu feuillus dans une zone où l’on souhaite le voir se développer, pour faciliter le maintien en vie des rhizomes attenants, sauf bien sûr si les considérations esthétiques prédominent.

Il n’est pas rare que des turions qui émergent début septembre, trouvent dans certaines régions, le temps, la chaleur et les ressources nécessaires pour se développer complètement et pour aoûter (durcir) suffisamment leurs tissus avant les frimas de l’hiver. Bien sûr, les chaumes ne seront pas aussi feuillus que ceux développés avant ou pendant l’été, mais cela vaut le coup d’essayer de les conserver.

Les explications vues plus haut dépendent également des taxons considérés. Par exemple les Fargesia nitida ou robusta ont naturellement un développement en deux temps, d’abord la sortie des chaumes, puis le développement feuillu complet l’année suivante, ce qui leur permet de passer l’hiver sans encombre.

On ne peut donc pas donner, de règle absolue pour dire s’il convient de couper ou non les chaumes sortis en fin d’été, au début ou au milieu de l’automne. Rien ne remplace l’observation de terrain sur les différents taxons et l’expérience acquise ou partagée entre passionnés pour une région climatique donnée. Sans compter qu’une année ne fait pas la suivante, avec l’arrivée plus ou moins précoce, progressive ou prononcée des froids de l’hiver.

Nul doute que la succession d’hivers particulièrement doux ces dernières années, dans de nombreux départements, incitera les jardiniers à plus de clémence vis à vis de leurs bambous cet automne.